L'évolution des critères diagnostiques
Critique quant à la méthodologie choisie par ce manuel initié par la puissante association américaine des psychiatres, l'APA , qui se résume principalement à un étiquetage superficiel des manifestations comportementales, sans regard sur l'éthiologie de ceux-ci, le magazine dénonce l'explosion exponentielle des symptômes qui définissent des troubles que l'on peut traiter par voie médicamenteuse et qui rend quasiment tous les humains classables parmi une des pathologies décrites. Voici quelques extraits de cet article :
"Alors que la première publication du manuel en 1952 n’en comptait qu’une centaine, son contenu n’a cessé de s’enrichir au fil des versions. Une inflation qui inquiète de nombreux psychiatres, y compris ceux qui sont a priori favorables à cette nosographie. Ainsi, le président du groupe de travail sur la quatrième version du répertoire, le Dr. Allen Frances (auteur de « Sauver le normal »), assure que : « Le DSM-V ouvre la voie à ce que des millions et des millions de personnes actuellement considérées comme normales soient diagnostiquées avec un trouble mental, reçoivent un traitement et une stigmatisation dont ils n’ont pas besoin. »
De l’aveu même des auteurs du DSM-IV, « rien ne garantit que chaque catégorie de trouble mental soit une entité complètement discrète avec des frontières absolues qui l’isole des autres troubles mentaux ou de l’absence de trouble mental » (introduction du DSM-IV).
Selon l’historien Christopher Lane, le DSM-IV suffisait déjà pour considérer la moitié de la population américaine comme souffrant de troubles mentaux. Et on ne se porterait guère mieux en Europe : d’après une étude de 2011 publiée dans la revue European Neuropsychopharmacology, 38% des habitants ont un désordre mental. Avec le nouveau manuel, on peut parier que les bien-portants seront bientôt minoritaires, tels des rescapés d’épidémie… Comment expliquer cette extension du domaine de la pathologie ?
...Mais il y a aussi un facteur moins avouable derrière la multiplication des catégories. De nombreux observateurs pointent en effet la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques qui, désireux d’étendre le marché des psychotropes, « fabriquent » quasiment de nouveaux troubles à traiter.
Leur implication remonte aux années 70, lorsque les psychiatres trouvent que face à la concurrence des psychologues, et notamment des psychanalystes, leur meilleure arme est leur diplôme de médecin et donc leur droit de prescrire des psychotropes, dont les premiers avaient été développés dans les années 50.
...C’est ainsi que le chagrin consécutif au deuil, qui n’était pas assimilable à la dépression dans le DSM-III, a été considéré comme pathologique dans le DSM-IV si les symptômes persistaient au-delà de deux mois. Le DSM-V, lui, se débarrasse complètement de ce délai. Le territoire de la dépression va donc pouvoir continuer de s’étendre..."